Une version simplifiée du théorème de Gauss Bonnet

Mis en avant

Un très beau résultat en géométrie différentielle et que j’aime beaucoup est le théorème de Gauss Bonnet qui s’énonce ainsi: « Pour toute surface S fermée, l’intégrale de sa courbure K est égale à 2 pi fois sa caractéristique d’Euler (nombre de faces – nombre d’arêtes + nombre de sommets)

Ici nous présentons une version un peu simplifiée du théorème de Gauss Bonnet dont l’énoncé et la preuve sont élémentaires. Ils peuvent être présentés à des élèves de collège ou de lycée et donc constitue à mes yeux un sujet parfait pour un exposé de vulgarisation mathématique.

Un petit résultat intermédiaire

Pour un polygone à N cotés la somme des angles vaut (N-2) fois pi. En effet faisons le tour de ce polygone dans le sens des aiguilles d’une montre. Après un tour complet la somme des tournants t(i) vaut toujours 2 pi ceci quelque soit le nombre de tournants réalisés. L’angle a(i) de chaque sommet est égale à pi moins t(i) et on a donc la somme des a(i) est égale à N*pi moins la somme des t(i) soit N*pi-2*pi. Cet exemple n’est pas anodin, car les tournants sont l’équivalent de la courbure en dimension 1.

Les coins alias les défauts d’angles

Considérons maintenant des polyèdre en 3 dimensions. Peut-on définir sur ses sommets une notion de coin? Quelque chose d’équivalent aux angles en 2 dimension et qui mesure de combien le sommet est pointu? Une réponse fut proposée par Descartes. Pour un sommet A, on considère les faces f du polyèdre adjacente à A et leur angle a(f) en ce sommet. On définit alors le coin c(A) (disons aussi le défaut d’angle) comme 2*pi moins la somme de ces angles a(f).

Exemples

  • Pour un cube, Les trois angles valent pi/2 et donc c(A)=2*pi-3*pi/2=pi/2.
  • Pour un tétraèdre régulier : les trois angles valent pi/3, et donc c(A)=2*pi-3*pi/3=pi.

 

Remarquez qu’il peut y avoir des coins négatifs. Cependant cela ne dépend pas si le coin est s’enfonce ou non dans la figure. Par exemple le coin ci dessous est bien positif. Pour voir si un coin est positif ou négatif on déplie le patron de la figure. Si sur le patron les faces autour du sommet ne se recouvrent pas alors la somme des angles est inférieur à 2 pi et au contraire si elles se recouvrent alors elle est supérieur à 2*pi.

 

Les coins et la caractéristique d’Euler

Quand est il de la somme des coins du polyèdre? On peut reprendre les exemples précédents:

  • Pour le cube, on a 8 sommets, chacun d’un coin égale à pi/2, la somme des coins vaut alors 8*pi/2=4*pi
  • Pour le tétraèdre, on a 4 sommets dont chacun a un coin égale à
    pi et donc la somme vaut 4*pi.

Remarquez que l’on retrouve bien à chaque fois la surface de la sphère. On peut montrer ce théorème de Gauss Bonnet simplifié :

Soit un polyèdre P, alors la somme de ses coins est égale à 2*pi fois sa caractéristique d’euler.

PREUVE:

Le deuxième terme est la somme de tous les angles du polyèdre, c’est donc aussi la somme sur toutes les faces f de la somme des angles de cette face et alors:

avec N(f) le nombre de cotés de la face f. Dans cette somme chaque arête du polyèdre est comptée 2 fois, et elle est donc égale à 2*A  (A le nombre d’arête du polyèdre). Et on peut conclure : la somme des coins vaut bien 2*pi*(F-A+S).

Des surfaces avec trous et sans trous

La caractéristique d’Euler est un des invariants topologique les plus connus, elle permet notamment de classifier les surfaces de dimension 2. Remarquez que pour les polyèdres, la caractéristique d’Euler est bien invariante si on les complexifie en découpant les faces, en ajoutant des sommets ou en déformant la figure. On peut énoncer le résultat suivant : la somme des coins d’un solide (sans trou) vaut toujours 4*pi. Dans le cas général la caractéristique d’Euler vaut 2 moins 2 fois le nombre de « trous ».

Par exemple sur les figures suivantes la somme des coins est égale à 0 et -4*pi:

 

Vers la version continue? Considérons une surface lisse. On peut tout à fait l’approximer par un polyèdre ayant de plus en plus de faces. La somme des coins se comporte alors comme une somme de Riemann qui converge vers l’intégrale de la courbure.

 …  … …  

(somme des coins = intégrale de la courbure = 4*pi)

Et le théorème remarquable de Gauss?}

Il est difficile de parler de Gauss et de courbure sans mentionner le « Theorema egregium » (théorème remarquable) qui affirme que la courbure est invariante par isométrie locale. Énonçons en une variante (très) simplifiée pour les coins :

Soit un polyèdre P qui ne possède que des faces triangulaires, Tout transformation en un polyèdre P’ qui conserve les longueurs des arêtes conserve également la valeur des coins.

La preuve est élémentaire: les longueurs sont conservées, donc les
angles des triangles sont conservés donc par définition les coins
sont conservés.
Par exemple les deux figures précédentes avec le coins qui s’enfonce dans le cube ont les mêmes coins.

L’urne de Polya

Un petit modèle probabiliste

L’urne de Polya est un modèle jouet probabiliste très populaire. Prenez une urne dans laquelle se trouve N boules: r(0) rouges et  b(0) bleus soit r(0)+b(0)=N. On en tire une aléatoirement (uniformément) et on note sa couleur. On replace alors la boule dans l’urne et on y ajoute en plus une autre boule de cette même couleur. Par exemple pour le premier tirage on a la probabilité r(0)/(r(0)+b(0)) d’obtenir une boule rouge. Si on tire effectivement une boule rouge, au deuxième tirage il y aura alors dans l’urne N+1 boules dont r(1)=r(0)+1 rouges et b(1)=b(0) bleus. Puis on recommence ainsi autant de fois qu’on le souhaite (après le n-ième tirage, on a donc r(n) rouges et b(n) bleus avec r(n)+b(n)=N+n).

Qu’est ce que ça donne la limite n tend vers l’infini? Y a t-il (avec grande probabilité) une couleur très majoritaire? C’est à dire b(n)/(r(n)+b(n) ou r(n)/r(n)+b(n)converge vers 0? Ou bien les deux couleurs s’équilibrent-elles et on a b(n)/r(n)+b(n) converge 1/2?
La réponse assez surprenante est ni l’une ni l’autre. On a que presque surement il existe X tel que b(n)/r(n)+b(n) converge vers X mais X est aléatoire sur le segment [0,1]. On peut par ailleurs montrer que X suit une loi bêta B(r(0),b(0)). En particulier si il n’y a au départ une seule boule rouge et une seule boule bleu, X sera équidistribué sur [0,1].

preuve:

Plaçons nous sur le segment [0,1] et tirons N-1 points aléatoirement indépendamment et identiquement distribués que l’on ordonne 0 < x(1) < x(2) < … x(N-1)<1. Fixons le point x(r(0)). On appellera [0,x(r(0))[ la zone rouge et ]x(r(0)),1] la zone bleu. On dira ensuite que  0,x(1),…,x(r(0)-1) sont rouges et que x(r(0)+1),…,1 sont bleus. Continuons
le tirage de points aléatoire iid uniforme sur [0,1] en fonction de zone où il apparait, il est soit rouge soit bleu. Connaissant x(r(0)) on a une Bernoulli : le point est rouge avec probabilité x(r(0)) et le point est bleu avec proba 1-x(r(0))). La loi des grands nombre
nous dit alors que le nombre moyen de point rouge converge vers x(r(0)). Et on connait également la loi de x(r(0)): c’est une loi bêta B(r(0),b(0)) (Remarquez puisqu’il y a au départ r(0)-1 points sur [0,x(r(0))[ et b(0)-1 points sur ]x(r(0)),1] la fonction de densité
est alors proportionnel à  x(r(0)) puissance r(0)-1 fois (1-x(r(0)) puissance b(0)-1).

Oublions maintenant que l’on connaisse x(r(0)) mais que l’on sait combien de points sont tombés dans la zone rouge (resp bleu). Par définition, après le n-ième tirage x(r(0)) est alors le r(n) plus grand point parmi les N-1+n tirés. Tirons alors un nouveau
point. Puisque que tous les tirages sont iid, tous les ordres possibles des différents points sont équiprobable. En particulier ce nouveau point aura r(n)/(b(n)+r(n)) d’avoir un rang plus petit ou égale que r(n) et b(n)/b(n)+r(n)) d’avoir un rang plus grand que r(n). Et on retrouve alors exactement l’urne de Polya! Elle est donc bien équivalente au tirage de Bernoulli iid que l’on vient de décrire.

Le théorème de De Finetti

L’urne de Polya est probablement l’exemple le plus célèbre d’application du théorème de De Finetti. Pouvoir se ramener à des variable iid est extrêmement intéressant mathématiquement parlant. On souhaiterait savoir quand cela est-il possible. Plus précisément à partir d’une suite de tirages non indépendent, est on capable de décomposer la loi de ces tirages en une variable aléatoire d’environnement (notre
x(r(0))) et que conditionnellement à cette variable les tirages soient indépendants (selon une loi qui dépend de l’environnement x(r(0))). On peut facilement voir que si cela était vrai, alors les lois des tirages aléatoires ne dépendraient pas de l’ordre de la réalisation
du tirage en question. Ceci donne donc une condition nécessaire. Le théorème de De Finetti affirme que cette condition est également suffisante si l’on considère un tirage infini (la proba ne dépend pas d’une permutation finie.). Il s’énonce ainsi pour des Bernoulli:

« Soit X(1),X(2),… une suite infini de variable aléatoire de Bernoulli dont la loi de l’ensemble est invariante par permutation finie. Alors il existe une variable aléatoire Y tel que (X(1)+…+X(n)/n converge vers Y presque surement. De plus conditionnellement à cette limite les variables X(i) se comportent comme des variables de Bernoulli indépendantes et identiquement distribuées avec P(X=1|Y=y)=y et P(X=0|Y=y)=1-y. »

Un sujet de recherche actuel: les marches aléatoires renforcées.

Les marches aléatoires sont omniprésentes chez les probabilistes. Un modèle qui retient l’attention de plusieurs groupes de chercheurs actuellement sont les marches aléatoires renforcées (MAR). C’est à dire des marches aléatoires qui ont plus de chance de retourner à un endroit où elles sont déjà passées avant. Plus précisement, on pose quelque chose comme ça : « Si x est voisin de y (x-y), la probabilité que la marche saute de X(n)=x en X(n+1)=y est de la forme (a+n(y))/S où n(y) est le nombre de fois que la marche a visité y, et S est la somme des (a+n(y’)) sur les voisin de x.

Il se trouve que l’on peut appliquer une variante du théorème de De Finetti dans ce cas ci. Pour chaque sommet, on compte le nombre de fois que la marche a visité chacun de ses voisins et cela se comporte alors comme une sorte d’urne de Polya. On pourra alors construire un environnement aléatoire sur lequel est définit un processus de
Markov qui a la même loi que la MAR. Mais quel est cet environnement aléatoire? La marche reste-elle coincée infinitésiment ou part-elle à l’infini? Et plein d’autres questions sur lesquelles travailler…