Trois petites fables en économie

L’économie en tant que modélisation du monde réel semble souvent impossible à appréhender rigoureusement tant le nombre de paramètres est important et dépend facteurs sociaux ou politiques. Proposer un modèle en économie reviens plutôt à raconter une «fable» : une histoire simple, peut-être avec une morale à fin, et qui illustre le propos plutôt que de donner une argumentation très détaillée.

Ici je présente trois petites «fables» en lien avec des résultats mathématiques que je trouve intéressants.

 

L’algorithme hongrois, un argument néo-libéral ?

Une répartition optimale

Considérons un tableau N par N avec des entrées positives et choisissons N cases de telle sorte qu’il y en ait exactement une sur chaque ligne et chaque colonne. Comment trouver la configuration qui minimise la somme des cases choisies ? Il y a plusieurs illustrations/motivation à ce problème. Par exemple, on peut penser à un ensemble de travailleurs ayant des compétences différentes et une liste de taches à réaliser. On aimerait alors donner une répartition des taches qui correspond au mieux les compétences des travailleurs.


Bien sur il est possible ici de tester toutes les possibilités mais ce nombre devient vite trop important lorsque le tableau est un peu grand. Le but du jeu est donc de trouver un algorithme efficace. L’idée de l’algorithme hongrois repose sur les deux observations suivantes:

  • Si il est possible de choisir une configuration uniquement avec des cases de valeur nulle alors c’est terminé et le coût total est nul.
  • Si on modifie le tableau en ajoutant une même valeur sur toute une ligne ou sur tout une colonne alors on obtient un problème équivalent

En effet cela revient à ajouter une constante au coût total et on ne modifie donc en rien le problème de minimisation : la configuration minimale reste la même. Le principe de l’algorithme est d’ajuster ces valeurs P et Q de manière itérative de telle sorte à obtenir suffisamment de zéro dans le tableau pour se retrouver le premier cas. Sans entrer dans le détail des différentes étapes de l’algorithme voici juste faire quelques remarques. Ce qui rend l’algorithme intéressant d’un point de vue de l’économie est qu’il semble assez similaire au mécanisme de l’offre et la demande avec une fluctuation des prix. Chaque travailleur (=ligne) commence par postuler pour la(-es) taches qui lui conviendrait le mieux et de même pour chaque tache (ligne) une proposition est envoyée au(x) travailleur(s) le mieux qualifié pour la tache. Ensuite si un travailleur reçoit plusieurs propositions il augmente légèrement ses tarifs et inversement il les diminue si il ne voit proposer aucune tache. (=augmenter ou diminuer toute une ligne) De même on augmente ou diminue de prix pour une tache si elle est très demandée ou si au contraire ne trouve pas de travailleurs (=augmenter ou diminuer toute une colonne). Au bout d’un certain temps, on aboutit à une situation où chaque travailleur a bien une tache associée.

Une variante plus souple du problème

On peut s’intéresser à une variante “plus souple” du problème où on ne suppose pas que la répartition soit purement 0 ou 1 mais peut avoir une distribution continue. Formellement on a deux ensembles fini E, F et deux distributions
µ et ν. On cherche à minimiser parmi toutes les distribution π sur E × F le coût total donné par

Il s’agit ici d’un problème très classique qui a même plus ou moins créé tout le domaine de recherche du transport optimal. Comme exemple de motivation Il s’agit de transporter une certaine quantité de matière première initialement répartie dans différents entrepôts qu’il faut transporter vers différentes usines. Ici π(x, y) représente la quantité de matière transportée de x à y et c(x, y) représente le coût unitaire pour ce trajet. L’astuce ici est de relâcher les conditions sur π et de les remplacer par une pénalité de paramètre λ

Si la pénalité est suffisamment grande on retrouve le problème initiale. L’intérêt cependant est que ce problème est plus facile à résoudre. On écrit la
jacobienne

et on a bien ici les 2 points de l’algorithmes hongrois :

  • la répartition qui minimise C(λ, π) ne remplit que les cases telles que j(x, y) = 0.
  • j(x, y) = c(x, y) + P (x) + Q(y).

le tableau c et la distribution minimisant C(λ, π) pour λ = 10, 30 et 90.

Le message de ce post est le suivant : l’algorithme «offre et la demande» est mis en pratique tous les jours, souvent de manière inconsciente et que l’organisation de l’économie dans son ensemble repose en grande partie sur lui. Il faut reconnaître que celui ci est assez remarquable : à la fois très simple et décentralisé tout en étant très efficace dans le sens où il donne la solution optimale dans un temps très raisonnable au problème de la répartition. L’inconvénient par contre est que la matrice de coût reflète souvent les inégalités déjà existantes, inégalités se retrouvant alors dans la solution proposée. Aussi bien sur, il y a beaucoup d’autres questions que celui de la répartition à traiter et la solution ainsi proposée peut ne pas être du tout la meilleur selon ces autres critères.

 

Jeux d’argents et théorie des martingales

Dans une salle, N joueurs se réunissent et jouent au jeu d’argent suivant. À
chaque temps deux joueurs sont tirés au sort et ils parient l’un contre l’autre
sur un pile ou face (équilibré). La mise est fixé à r×l’argent du joueur le pauvre
avec 0 < r < 1. Au temps long comment évolue le système ?

Une martingale

Comme le jeu est équilibré, l’argent de chaque joueur est une martingale et on
a le très beau théorème

«Une martingale bornée converge presque surement».

Dans le cas présent, il n’y a qu’un seul comportement asymptotique possible :
tous les joueurs repartent ruinés sauf un qui rafle toute la mise.


Simulation numérique avec 6 joueurs, p = 0.3 et une quantité total d’argent initiale égale à 1.

De plus comme en espérance un joueur ne gagne rien ni ne perd rien, la
probabilité d’être celui qui repart avec toute la mise ne dépend que de sa mise
initiale argent initial.

Ce qu’il y a de très élégant dans ce résultat c’est qu’il est en fait complète-
ment indépendant du jeux de hasard considéré. La seule règle est que le jeu
soit équitable. On peut même proposer aux joueurs de changer de jeux, de
choisir leurs adversaires et leurs mises et de les laisser élaborer des «stratégies».
À la fin la conclusion reste la même : un seul gagnant et avec une probabilité
simplement proportionnelle à la mise initiale.

De l’inégalité parmi les hommes

Naïvement on pourrait affirmer que comme le jeu est équilibré il n’a pas d’influence
sur les inégalités. Ceci est bien sur faux au vu du paragraphe précédent mais
on peut proposer un argument plus général. Une manière usuelle de mesurer
les inégalités parmi n personnes est de construire un indicateur en utilisant une
fonction convexe f .

Pour un exemple réellement utilisé en pratique :

On a l’affirmation suivante : Pour des jeux équilibré, par Jensen

I(X) est une sous-martingale : en espérance elle augmente à chaque tirage aléatoire.

La morale de la fable pourrait donc être la suivante : tous les jeux : casino, paris
sportifs ou jeu en bourse s’il se disent «équilibrés» ont pour impact d’augmenter
les inégalités.

 

Une simple matrice pour l’inflation

On considère un modèle extrêmement simple pour représenter l’économie. Le
tout est un grand graphe orienté G = (S, A) où chaque «agent économique» est
représenté par un sommet, deux sommets sont connectés si il y a un «échange
commerciale» entre les deux et l’orientation indique qui est «client» ou «fournisseur».
À cela on ajoute une matrice de réponse R qui décrit le comporte-
ment de chaque agent lorsqu’il est subit à une hausse de prix. La règle est
simple : si l’agent voit ses frais augmenter il les répercute sur chacun de ses clients en augmentant ses prix proportionnellement et données par les entrées de la matrice R .
On peut regarder ce que donne ce modèle dynamiquement avec un temps discret. On part d’une situation à l’équilibre et la perturbe avec une augmentation. À chaque temps, les agents mettent à jour leurs prix et créent une nouvelle augmentation.

En cumulée, l’augmentation total par rapport à la situation initiale est alors

et la réponse au temps long dépend du rayon spectral de la matrice R.

  • Si celui ci est inférieur à 1, alors on a simplement la convergence vers

  • Si celui ci est égale à 1, alors asymptotiquement les prix augmentent de manière continue et régulière. Un cas particulier et très naturel est justement de supposé R une matrice stochastique : la somme sur chaque ligne est égale à 1 qui correspond au cas les agents répercutent l’augmentation complètement sur leur clients.
  • Un dernier cas est si R admet une valeur propre λ > 1 (si les agents anticipent la hausse des prix par exemple) on a alors une inflation qui explose de manière exponentielle.

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